Finances
Les coûts sociaux et environnementaux du système alimentaire français
2024-12-11
Si le constat de la non-soutenabilité écologique et sociale de notre système agricole et alimentaire devient de plus en plus partagé, les approches divergent lorsqu’il s’agit de traduire ces impacts négatifs en coûts économiques. Tristan Dissaux et Christophe Alliot, deux des auteurs de l’« Etude sur la création de valeur et les coûts sociétaux du système alimentaire français », publiée récemment par Le Basic, une coopérative consacrée à l’analyse des effets des modes de production et de consommation sur la société et l’environnement, ajoutent :
Le choix de la méthode est crucial
Le choix de la méthode n’est pas anodin dans la mesure où c’est l’analyse économique qui guide le plus souvent la décision publique. Les auteurs citent l’exemple des travaux de l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) sur les coûts cachés du système alimentaire. Dans le cas de la France, ils ont été chiffrés à 177 milliards de dollars pour l’année 2020. Le chiffre est spectaculaire, mais il n’emporte aucune conséquence. En effet, il ne correspond pas à une dépense réelle, mais à une estimation du manque à gagner théorique induit par la dégradation des conditions environnementales et sociales.Par exemple, des travailleurs malades du fait de pathologies cardiovasculaires liées au régime alimentaire, c’est tant de journées de production perdues et tant de produit intérieur brut (PIB) en moins. Idem pour la disparition des abeilles et leur service de pollinisation. Les hommes et la nature peuvent souffrir, personne ne paie en argent sonnant et trébuchant pour ces pertes, et donc tout le monde (ou presque) s’en fiche.Les subventions et leur impact
Du côté des subventions, les montants en jeu sont énormes : 48,4 milliards d’euros en 2021, année sur laquelle porte l’étude. Une somme très supérieure aux 15 milliards d’euros annuels de concours publics aux exploitations agricoles (les aides de l’Europe et les soutiens de l’Etat via, principalement, des exonérations de charges). En effet, il faut ajouter les allègements de cotisations sociales et fiscales dont bénéficient également les autres entreprises de la chaîne alimentaire : transformation, distribution et restauration. Sans oublier les dépenses des collectivités territoriales pour la restauration collective. Ainsi, et contrairement à une idée reçue, l’agriculture n’est pas la première bénéficiaire des soutiens au système alimentaire : elle en perçoit environ le tiers. Autre fait remarquable : ces 48,4 milliards d’aides dépassent le bénéfice net cumulé de tout le secteur, estimé à 31,5 milliards d’euros en 2021. De quoi relativiser la performance de ses fleurons industriels. Bien sûr, les aides contribuent aussi à une alimentation de valeur sur un plan social et environnemental, vendue sous des signes de qualité, à commencer par le label Bio. Mais ce modèle est très minoritaire à tous les maillons de la chaîne, de la production à la distribution. Il représente, selon les calculs du Basic, 8 % seulement des ventes de produits alimentaires.Le modèle à impacts négatifs
Les soutiens publics, dont 95 % sont alloués aux entreprises et 5 % aux consommateurs (à travers les exonérations sur les titres-restaurant et l’aide alimentaire), financent donc pour l’essentiel un système appauvrissant. Il est fondé sur la fourniture d’une matière première agricole standardisée, produite au plus bas prix possible à coups de chimie, de dégradation de la biodiversité, de souffrance animale. Et de souffrance des hommes au travail et de bas revenus, le pouvoir de négociation des producteurs face aux puissants acteurs d’un secteur aval très concentré étant faible. Cette matière première agricole standardisée, de médiocre qualité sociale et environnementale, est invisibilisée dans l’extrême diversité des produits transformés mis dans les rayons, vendus à grand renfort de marketing. Ainsi, indique Le Basic, « alors qu’en 1960, les matières premières agricoles représentaient 18 % du coût final d’un produit alimentaire de grande consommation, cette part est tombée à 7 % en 1990 ; dans le même temps, la part de l’ensemble des dépenses de marketing et de publicité est passée de 25 % à 41 % ». Avec quatre fois plus de produits gras, sucrés, salés dans les grandes surfaces que dans les autres circuits de distribution (40 % du chiffre d’affaires, contre 10 %).Les coûts négatifs et leur compensation
L’étude a évalué à 19,1 milliards d’euros en 2021 le coût pour les finances publiques des impacts négatifs de ce modèle. Le premier poste (61 %) est la prise en charge des pathologies liées au surpoids et à l’obésité. S’y ajoutent celles liées aux conditions de travail dans le secteur (4 %). La compensation par la puissance publique des faibles revenus, avec le RSA et la prime d’activité, représente 17 % des coûts. Enfin, les dépenses environnementales imputables au système alimentaire comptent pour 18 %. Bien entendu, rappellent les auteurs, ces 19 milliards de coûts négatifs sont ceux que la collectivité accepte de prendre en charge, non ce qu’il faudrait dépenser pour compenser ou prévenir l’ensemble des externalités négatives d’un système alimentaire que subventionne par ailleurs cette même collectivité à hauteur de 48 milliards. En clair, remettre le système alimentaire à l’endroit est moins le problème des ressources que de leur allocation.